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"Le fond du problème" un roman "Africain" de Graham Greene

17 Février 2024 , Rédigé par François ROUX

 

Je profite d’un long séjour au Sierra Leone pour relire le roman du Britannique Graham Greene The heart of the matter que l’on traduit en français par Le fond du problème. C’est en effet dans ce pays d’Afrique de l’Ouest que se déroule l’histoire. Nous sommes en 1942 dans un comptoir commercial de l’empire Britannique. Le territoire est frontalier de la Guinée, colonie Française alors sous l’autorité du régime de Vichy. L’Océan qui borde la côte est le théâtre d’agressions des navires anglais par les sous-marins Allemands qui les coulent sans discernement.

Scobie est l’un des responsables de la police de Freetown. Homme d’âge mur, Anglais et blanc il est en poste depuis plus de quinze ans. Il est marié à Louise également Anglaise, depuis de nombreuses années. Ils vivent sans enfants, leur unique fille Catherine étant morte de maladie en bas âge. Scobie est un catholique tardivement converti afin probablement d’adopter la religion de Louise. Comme souvent les convertis, il pratique sa religion avec ferveur et surtout est profondément pénétré de ses dogmes.

Il aime le quotidien de sa vie dans ce territoire du bout du monde. « La pensée de la retraite lui faisait mal aux nerfs : il priait pour que la mort le prît avant. » Il est foncièrement bon. Il aime les indigènes à la confiance et à l’affection desquels il aspire. Parfois d’ailleurs à son détriment. Il se pose lui-même la question de la raison de son attachement à ce lieu si loin de sa terre natale : « …pourquoi suis-je si attaché à cet endroit ? Est-ce parce que la nature humaine n’a pas eu le temps de s’y déguiser ? ...Ici l’on pouvait aimer les créatures humaines presque comme Dieu les aime, en sachant le pire… » Cette réflexion de Scobie peut être prêtée à Greene qui connaît bien le pays.

Ce sentiment n’est pas partagé par les autres expatriés. « Je hais cet endroit. Je hais ses habitants. Je hais ces sales nègres. Vous savez qu’il ne faut pas les appeler les nègres. » déclare Harris un fonctionnaire expatrié, à Wilson autre expatrié qui vient d’arriver. Le bien-être de Scobie dans cet environnement Africain agace ses compatriotes qui chercheront toujours à lui nuire.

Pour d’autres raisons Louise ne se sent également pas heureuse dans ce pays du fin fond de l’Afrique. C’est une intellectuelle, aimant la littérature, la poésie, goûts qu’elle ne peut avoir en commun avec les autres anglais de la colonie qui se moquent d’elle à ce sujet. Rien ne lui plaît et ne la retient au Sierra Leone. Elle reproche par ailleurs à Scobie son manque d’ambition. Il ne se démène pas pour monter en grade et se faire nommer au poste de Chef de la sûreté (fonction à laquelle il accédera tout de même sans vraiment l’avoir voulu).

Scobie est très lucide sur le gouffre qui le sépare maintenant de son épouse qu’il n’aime plus comme au début. Ils n’ont plus rien en commun. Il ne la trouve plus belle. Il s’en rend compte en regardant une jeune femme indigène. « Comme elle est belle ! Il était étrange de se dire que, quinze ans auparavant, il n’aurait pas remarqué sa beauté : les petits seins haut placés, les poignets frêles, les jeunes fesses fermes ; jadis il l’aurait confondue avec ses semblables : une négresse parmi les autres. A cette époque il trouvait que sa femme était belle. Une peau blanche n’évoquait pas alors pour lui l’image d’un albinos. Pauvre Louise. »  Il se sent pourtant redevable du bonheur de son épouse. Et aussi responsable de son mal être « C’était lui qui avait montré le chemin : l’expérience acquise par sa femme avait été celle qu’il avait choisie. C’était lui qui avait formé ce visage. ». Il reconnaît pourtant ressentir encore à son égard une certaine forme d’amour : « …cette femme l’attachait par le pathétique de son manque de charme…Et moins Louise lui était nécessaire, plus il avait conscience d’être responsable de son bonheur. »

Ce sens du devoir, de la responsabilité le perdront. Pour offrir à Louise qui le lui réclamait un séjour en Afrique du Sud dans un monde plus « civilisé » qu’au Sierra Leone il n’hésitera pas à emprunter de l’argent à l’un des membres de la pègre locale, un Syrien nommé Yusef ce qui le fait passer pour un policier corrompu. « Il avait fait son devoir. Louise était heureuse. »

Resté seul, Scobie nouera une relation amoureuse forte avec Helen une jeune femme anglaise rescapée d’un bateau coulé par un sous-marin Allemand. La naissance de cette relation adultérine marquera le début de sa descente aux enfers au sens propre comme au sens figuré. Louise rentre d’Afrique du Sud plus tôt que prévu et Scobie se trouve alors dans une impasse morale.

Il peut rompre sa relation avec Helen au risque de la rendre malheureuse. La continuer, car il aime la jeune femme et c’est à Louise qu’il fera du mal tout en persévérant dans le péché d’adultère. Dans les deux cas il rendra l’une des femmes malheureuses ce qu’il ne supporte pas. Il ne lui reste alors que la pire des solutions : disparaître définitivement de ce monde et être ainsi damné pour l’éternité. Son sens excessif du devoir et de la responsabilité, inné en lui, se trouve en contradiction avec les règles rigoureuses de sa foi catholique. « Voilà ce que l’amour humain avait fait pour lui : il lui avait dérobé l’amour de l’éternité. » Il y a quelque chose d’absurde dans ce raisonnement et dans la conclusion qu’elle implique pour Scobie. Mais la vie humaine a souvent à voir avec l’absurdité.

Dans le trio qu’il forme avec Louise et Helen aucune des deux n’essaiera de le comprendre. Louise le juge sans concession.  « Tu n’aimes personne » et quand il lui rétorque : « Est-ce pour cela que je te traite si mal ? » Elle lui répond tristement : « …c’est ta conscience, ton sens du devoir. Tu n’as aimé personne depuis la mort de Catherine. » Elle le presse d’aller à la messe et de communier alors qu’elle le sait en état de péché puisque, on l’apprendra à la fin du roman, elle est au courant de la liaison de son mari. Helen n’est pas plus tendre. « S’il y a une chose que j’exècre, dit-elle, c’est votre catholicisme. Je suppose qu’il doit vous venir de votre bigote de femme. Ce n’est que du chiqué. Si vous étiez un vrai croyant, vous ne seriez pas ici. » Les deux femmes font preuve d’un manque de compassion et d’un égoïsme qui les rend bien antipathiques. On a le droit de penser que Scobie aurait eu raison de les quitter l’une et l’autre. C’est un peu ce que son « ami » Yusef lui conseille : « La meilleure méthode, c’est de s’en foutre, major Scobie. Vous dîtes à chaque femme : « Je m’en fous. Je couche avec qui me plaît. Prends-moi ou laisse-moi. Je m’en fous. » Elles vous prennent toujours. » Mais Scobie n’est pas fait de ce bois-là. C’est un homme honnête conscient de ses devoirs et aussi un fervent catholique.

Greene relate, transcrit littéralement les dialogues entre Scobie et sa conscience, entre Scobie et son Dieu jusqu’à sa prise de décision de commettre l’irréparable. Le lecteur sera présent jusqu’au bout, rien ne lui sera épargné dans les terribles dernières pages du roman.

L’auteur se livre-t-il à une critique du catholicisme, religion à laquelle comme Scobie il s’était converti ? A la toute fin du roman le Père Rank, prêtre catholique, confesseur de Scobie s’entretient avec Louise. A cette dernière accrochée à son dogme qui lui fait remarquer que l’on ne peut même pas prier pour son époux il lui répond agacé : « Pour l’amour du ciel, Mrs Scobie, n’allez pas imaginer que vous…ou moi, nous ayons la moindre idée de ce que peut être la miséricorde divine ! ...Je sais ce que dit l’Église. L’Église connaît toutes les lois. Mais elle ignore tout de ce qui se passe dans un seul cœur d’homme. » C’est une très belle réflexion, que l’on peut sentir imprégnée de « l’approche protestante » des relations entre Dieu et les hommes. Mais cette question n’est-elle pas, pour les croyants bien entendu, la seule question de laquelle tout découle, le fond du problème ?

Un très beau roman qui plaît aux amoureux de l’Afrique de l’Ouest qui en constitue le décor très présent tout au long de l’histoire. Les tiraillements métaphysiques de Scobie pourront néanmoins paraître incompréhensibles à ceux qui sont loin de ces questions ou ridicules pour le lecteur athée qui en tirera argument pour démontrer l’ineptie voire les dangers de la foi et en particulier de la foi catholique.

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                             

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