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Le Labyrinthe des égarés. L'Occident et ses adversaires. Amin Maalouf.

4 Mai 2024 , Rédigé par François ROUX

 

 

Le sujet ne peut que nous intéresser nous Européens, occidentaux, à un moment de notre histoire ou la survie du continent et la légitimité de sa culture font l’objet d’attaques venant non seulement du monde entier mais aussi curieusement de chez nous où nous voyons se développer une curieuse auto-flagellation permanente ce qui correspond à un signe de notre affaiblissement. On peut se dire qu’Amin Maalouf est assez bien placé pour analyser l’origine de ces phénomènes dans la mesure où son histoire personnelle le place à la fois dans et hors du monde occidental. Il est en effet né au Liban, issu d’une famille Libanaise, a fait ses études en Egypte. Il vit aujourd’hui en France, écrit en français et est membre de l’Académie Française dont il est le Secrétaire Perpétuel.

C’est par un constat plutôt pessimiste qu’il commence son dernier ouvrage Le Labyrinthe des égarés. L’humanité traverse une période périlleuse. L’une des plus périlleuses de son histoire. La suprématie actuelle de l’Occident est bien réelle mais comme l’est aussi son déclin. Ni les occidentaux ni leurs adversaires ne sont capables de faire sortir l’humanité de ce labyrinthe où elle s‘est fourvoyée. Pour expliquer les raisons de cet inquiétant état des lieux, Maalouf rappelle l’histoire dans un tableau en quatre parties. Quatre endroits du monde où des évènements historiques ont produit la situation que l’on connaît aujourd’hui. Le Japon, la Russie, la Chine et les Etats Unis. L’auteur ne s’embarrasse pas de détails. Il se borne pour chacune de ces régions au rappel et à l’analyse de quelques faits, tendances, caractéristiques qui ont eu des conséquences sur la position actuelle de l’Occident et sur l’évolution du rapport que « les autres » ont entretenu avec cette partie de l’humanité.

Le Japon. Ce fut la stupéfaction dans le monde occidental lorsque le Japon anéantit la flotte Russe en mai 1905. « A Londres, à Berlin, comme à Paris ou à Vienne, les journaux soulignaient que, pour la première fois, « un peuple de couleur » avait damé le pion à une grande puissance européenne… » Le Japon était déjà rentré dans la « cour des grands » grâce à l’instauration en 1868 par un jeune souverain Mutsuhito de ce que l’on appelât « le Meiji » c’est-à-dire une réforme profonde du pays qui le fit pénétrer dans la modernité. La transformation du Japon et la victoire sur la Russie réunies constituèrent alors un symbole pour les mouvements révolutionnaires et réformistes de tout l’Orient. Le Japon soutint « l’entente » au cours du premier conflit mondial et participât à la Conférence de la Paix à Paris en 1919. Il obtint par d’astucieuses manœuvres l’attribution des possessions Allemandes en Chine. Cette maladresse fut à l’origine « … d’un puissant mouvement à la foi nationaliste, moderniste et anti-occidental qui demeure, jusqu’à ce jour, l’une des sources d’inspiration fondamentale de la société chinoise et de ses dirigeant. » Maladresse de l’Occident, ce ne serait pas la dernière, et notamment du Président Américain Woodrow Wilson personnage sur lequel Maalouf porte par ailleurs un jugement très critique tout au long de son livre. L’attaque de la flotte Américaine à Pearl Harbour en 1941 scella la fin de l’aventure. Celle d’un Japon militariste, colonialiste et puissant dans la région. Elle provoquât l’entrée en guerre des Etats Unis et la terrible destruction des villes de Hiroshima et de Nagasaki.

La Russie. Un peu après la victoire de 1905 du Japon sur la Russie, la révolution de 1917 allait faire de cette dernière un adversaire de l’Occident. Mais elle « a donné à cet affrontement une tout autre tonalité intellectuelle…Désormais, l’aspect déterminant dans la définition de l’Occident serait son système socio-économique, le capitalisme, avec son corollaire l’impérialisme… » L’aspect racial de l’opposition entre l’Occident avec « les autres » cède la place à l’argument économique.  Si les débuts du nouveau régime communiste sont enthousiastes et prometteurs avec en particulier en 1919 la fondation par Lénine et ses camarades du Komintern qui devait réunir les mouvements révolutionnaires d’inspiration marxiste du monde entier, l’espoir suscité par la révolution d’Octobre allait pourtant finalement déboucher sur une immense désillusion. Le paradis des travailleurs va alors apparaître pour longtemps comme un territoire infernal où aucun être humain épris de liberté n’aurait supporté de vivre. Staline qui déteste le Komintern va s’en prendre à ses membres qui seront mis à l’écart, torturés, déportés, fusillés. Ce que Maalouf appelle un désenchantement eut pour conséquence « …l’émergence en Europe d’une créature politique monstrueuse qui projetait d’en finir une fois pour toutes avec l’internationalisme…le nazisme n’aurait pas connu le même succès si les espoirs caressés jusque-là par les « prolétaires de tous pays » chers à Marx, n’avaient pas été anéantis par l’expérience désastreuse du pouvoir en Russie. » Ce dommage collatéral de l’avènement du succès provisoire du communisme n’est pas assez souvent souligné. On connaît la suite qui aboutit à la fin de l’Union Soviétique et la chute du mur de Berlin. La faiblesse constitutionnelle de L’URSS qu’elle n’a jamais pu surmonter c’est « … le dysfonctionnement de son système économique dirigiste, centralisé et outrancièrement bureaucratisé…Partout où il fut mis en place, il se montra inopérant. » La sclérose économique est inséparable de la sclérose politique. L’inverse n’est pas nécessairement vérité : un pouvoir autoritaire peut enregistrer des succès dans le domaine économique : par exemple le décollage de la Corée du Sud sous la dictature de Park Chung-hee ou la réussite économique du Chili du Général Pinochet.

La Chine. Le titre donnée à la partie de l’ouvrage consacrée à la Chine est révélateur : « Une si longue marche ». En effet la Chine a mis beaucoup de temps à sortir de son isolement pour devenir la puissance que l’on connaît aujourd’hui. Maalouf nous relate une histoire que l’on a peut-être oublié. Celle du long cheminement de ce pays dont la singularité était depuis des temps immémoriaux l’isolement, ce que l’auteur appelle « la tentation du retranchement ». Il explique cette particularité notamment par l’existence dans cet endroit du monde d’une population homogène et d’une culture continue illustrée par la pensée de Confucius. Il insistera d’ailleurs à plusieurs reprises sur l’importance de la pensée du grand philosophie Chinois comme facteur d’unité du pays au cours du temps. Cette pensée qui résistera et même triomphera finalement des élucubrations maoïstes dont la bêtise criminelle finira par apparaître. L’histoire de la Chine se caractérise par l’humiliation qu’a subi le pays notamment aux XIXème et XXème siècles lors des conflits avec le Japon et des interventions successives qu’y ont mené les puissances occidentales. Cette humiliation fut particulièrement ressentie lorsqu’à l’issue de la Première Guerre mondiale, la Conférence de Paris octroya le port de Tsingtao au Japon au lieu de le restituer à la Chine. Cette « injustice » provoquât le 4 mai 1919 une manifestation d’étudiants à Pékin sur la place Tienanmen (il y en aurait d’autres !) qui marque peut-être le début d’une période à l’issue de laquelle la Chine sortira de son isolement pour devenir la puissance que l’on connaît aujourd’hui. Il faudra en effet que trente années s’écoulent entre ce moment et la prise de pouvoir par Mao Zedong. Cette longue période fut profondément chaotique. Maalouf la décrit comme « …une sorte d’empoignade généralisée où s’affrontaient, au gré des circonstances, les nationalistes, les communistes et les armées japonaises, et dans laquelle s’immisçaient parfois d’autres forces encore. » Ce n’est finalement que le 1er octobre 1949 que Mao Zedong proclamât la naissance de la République populaire de Chine. Ce dernier entreprend alors « …une transformation profonde et irréversible de la société chinoise. » La personnalité de l’homme (et celle de son épouse !) décrite par Maalouf et sa manière de faire le font rusé mais démoniaque ! Le combat mené par le grand Timonier et ses méthodes autoritaires provoquent des « …souffrances, de la cruauté, et une dose d’absurdité. Il s’inscrivait dans le cadre, éminemment marxiste, de la lutte des classes, mais en poussant sa logique jusqu’à l’extrême. » Grand Bond en avant, Révolution Culturelle et autres inventions révolutionnaires du même ordre se soldèrent par des million de morts. L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 est pour l’auteur du même ordre que le début de l’ère du Meiji au Japon. Ce qui caractérisait Deng c’était « …son refus de se laisser enfermer dans le carcan d’une idéologie. De son point de vue, une action devait être jugée en fonction de ses résultats, et rien d’autre. » Les résultats furent ceux que l’on connaît. Une incroyable réussite économique. Pour conclure sur la Chine, Maalouf souligne que les occidentaux s’en méfient non seulement à cause de ses comportements (droits de l’homme, Taïwan, Ouïgours, pandémie, espionnage) mais également parce que la réussite Chinoise est une menace pour eux. Pour lui l’affrontement est inéluctable. Il reviendra sur ce pronostic dans la conclusion de l’ouvrage. Il constate enfin avec inquiétude que le discours du Président Chinois Xi Jinping sur l’Occident ressemble à celui de la période maoïste. Une note bien pessimiste sur l’avenir qui n’exclut pas un « affrontement colossal ».

Les Etats Unis « La citadelle de l’Occident » est le titre que Maalouf donne à sa quatrième partie consacrée aux Etats Unis d’Amérique. Dès le début de son histoire, la jeune nation américaine fait preuve face au monde et au colonisateur Européen de ses qualités indiscutables : « L’audace, l’effronterie, le pragmatisme. Et plus que tout l’esprit d’initiative. » En 1898, la victoire des Etats Unis sur l’Espagne, vieil empire colonial Européen, est symbolique. Mais malgré ces succès incontestables, une tache noire, une tare affecte cette grande nation : c’est selon Maalouf son incapacité à résoudre la question raciale. « Cent soixante ans après la guerre de Sécession, il (le problème racial) continue de hanter la société américaine, et l’on pourrait même dire qu’il ne cesse de s’aggraver et de s’envenimer. » A la suite de la signature de ce que l’on a appelé le « Compromis de 1877 » clôturant une grave crise politique, les autorités Américaines se soumirent à toutes les exigences des anciens confédérés. « De ce fait, la question raciale n’a plus jamais été résolue. Même l’élection, en 2008 d’un Président d’ascendance africaine, Barack Obama, n’a pas suffi à la dépasser. » En 1919 Woodrow Wilson est le premier dirigeants des Etats Unis à incarner vis-à-vis de la planète la puissance prééminente que cette nation venait de devenir. Ses idées pour le nouvel ordre mondial furent de deux ordres : l’auto-détermination des peuples et la transparence dans les relations internationales. Ces principes suscitèrent un grand espoir dans diverses régions du globe. Mais Maalouf est de nouveau très sévère vis-à-vis de Wilson : « …quand Wilson parlait du droit à l’autodétermination, il avait à l’esprit les nations d’Europe centrale et orientale…jamais il ne songeait « aux peuples de couleur » qui ne lui paraissaient pas capables de se gouverner eux-mêmes, sauf peut être dans trois ou quatre générations, et à condition que leurs pas soient guidés, d’ici là, par un tuteur de race blanche. » Dès qu’il fut élu, Wilson installât la ségrégation raciale au cœur de l’administration fédérale. L’autre reproche que fait Maalouf aux Etats Unis, c’est son incapacité à gérer adéquatement sa suprématie, pour la consolider et la perpétuer. A l’exception de la période qui suit immédiatement la fin de la Deuxième Guerre mondiale, période qu’elle a globalement bien gérée en participant intelligemment à la reconstruction de l’Europe et du Japon, ce ne fut que maladresses et focalisation sur l’aspect sécuritaire des conflits. Ce fut le cas en Yougoslavie, en Irak, en, Amérique Latine et peut être pardessus tout en Afghanistan ou son intervention fut : « Un lamentable échec ! Une tragédie ! Une honte ! »

L’Epilogue. « Un monde à reconstruire » c’est le titre de l’Epilogue du livre de Maalouf. Il n’est pas vraiment optimiste. Il fait un nouveau constat : c’est la Chine et les Etats Unis qui aujourd’hui se retrouvent tout en haut de la hiérarchie. La première existe en tant qu’Etat depuis l’antiquité. La deuxième incarne l’innovation, l’audace, la fulgurance, ainsi que le brassage. C’est la nouvelle Rome dont les habitants comme ceux de l’empire d’autrefois viennent de toutes les origines (à noter quelques lignes intéressantes sur la filiation morale des USA avec la Rome antique). Mais l’Empire Romain a disparu, à cause peut être aussi de l’excessive « diversité » de ses citoyens qui ne fait que croître, alors que l’Empire du Milieu reste unifié grâce notamment à la référence culturelle à Confucius, toujours bien présente, philosophie qui reste un élément propice à éviter les conflits identitaires ou religieux. « Le duel des deux « finalistes » apparaît, de ce fait, comme un dénouement logique, et impossible à éviter. » Ce qui interroge l’auteur, c’est notre incapacité à coopérer dans tous les domaines, en particulier dans le domaine scientifique où les inventions humaines mal utilisées pourraient donner lieu à des catastrophes. Maalouf n’est cependant pas que négatif relativement à l’Occident : « On y trouve le meilleur et le pire… ». L’histoire nous apprend enfin que la détestation systématique de l’Occident provoque la barbarie et la régression. Mais il se garde bien de faire un pronostic précis se bornant toujours à des constats, celui également de l’existence d’une seconde guerre froide où les adversaires de l’Occident « …ne représentent pas, cette fois, le camp de la révolution, mais plutôt ce lui de l’ordre, voire du conservatisme politique, social et intellectuel. » Les frontières idéologiques entre les deux camps sont ainsi aujourd’hui brouillées. Difficile de s’y retrouver !

Cette conclusion dans laquelle se mêlent des constats peu optimistes et des souhaits de nature angélique, est un peu décevante. Il est clair que l’intérêt de l’ouvrage réside principalement dans un récit très bien écrit et l’analyse brillante, concise mais très fine, d’évènements astucieusement choisis dans cette histoire des quatre grandes régions du monde au cours de plusieurs siècles et qui aboutit à la situation d’incertitude tragique que nous connaissons aujourd’hui. Mais était-il raisonnable d’en attendre plus ? L’un des caractères majeurs de l’humanité n’est il pas son évolution imprévisible ? Une histoire qui n’a pas vraiment de sens comme certains le pensent ? Il est alors possible d’imaginer le meilleur comme le pire mais cela reste de l’imagination. Par ailleurs le monde occidental est décrit dans Le Labyrinthe comme un ensemble, une puissance qui produit et fait la guerre mais qui s’abstient de penser. Une vision matérialiste qui abandonne une réflexion ancestrale en l’Occident sur soi-même, sur l’être et sur le monde, une richesse spirituelle incontestable. L’auteur passe sous silence les relations de l’Occident avec la chrétienté alors qu’il insiste sur la place du Confucianisme dans le génome Chinois. La déchristianisation du monde occidental pour autant qu’elle soit bien réelle ne peut gommer l’influence du christianisme dans sa conception de l’humanité. L’importance que cette culture revêt encore dans les principes qui guident les nations occidentales dans l’élaboration de leur organisation politique, juridique et dans leur éthique en général. La chrétienté comme facteur d’unité du monde occidental ? Un sujet qui mérite peut-être encore d’être abordé ? De même l’Islam représente aujourd’hui une force idéologique et politique susceptible de faire bouger les lignes ou au moins de provoquer des conflits que certains voient comme « civilisationnels ».  Maalouf a fait le choix de n’argumenter principalement que sous le prisme de la géopolitique, de l’histoire et de l’économie ce qu’il fait avec succès et de manière plaisante pour le lecteur. Mais d’autres ressorts sont susceptibles de remuer l’esprit humain.

 

 

 

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