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Une brève libération de Félicité Herzog

11 Février 2023 , Rédigé par François ROUX

 

C’est un moment de l’histoire de sa famille et notamment de sa mère à une époque exceptionnelle que Félicité Herzog raconte dans ce roman. Un récit qui commence en 1940 et qui se termine à la libération de la France. Il évoque deux destins parallèles qui finiront par se croiser. Celui de Marie-Pierre de Cossé-Brissac (la mère de l’auteur) issue du mariage du duc de Brissac avec Marie-Zélie Schneider (dite May) et celui de Simon Nora jeune homme de la bourgeoisie juive parisienne.

May, la mère de Marie-Pierre, est autant que sa fille l’un des personnages central du livre. Elle est officiellement la fille de l’industriel Eugène Schneider. Mais elle est en fait biologiquement issue de la relation adultérine de sa mère avec le fameux Boni de Castellane[i]. May est donc la petite fille de Boni dont nous dit l’auteur elle est le sosie. Lourde hérédité !

Simon Nora est le fils du Docteur Nora, chef de service d’urologie à l’hôpital Rothschild, ancien combattant de la grande guerre. Il est issu d’une ancienne famille juive. Des siècles de traditions très différentes séparent les Nora des Cossé-Brissac.

Marie-Pierre et Simon ne vivront pas l’occupation de la même manière. May est l’amie intime de Josée Laval la fille de Pierre Laval et les époux fréquentent assidument le gratin de la collaboration. C’est dans cette atmosphère très particulière que Marie-Pierre passera une partie de son adolescence. Simon rejoindra lui l’école d’Uriage[ii] puis le maquis dans le Vercors ou il se conduira en héros.

Le roman met en scène le Paris de la collaboration. May qui collectionne les aventures amoureuses est la maîtresse de l’écrivain diplomate collaborationniste Paul Morand « son mentor et son épaule consolatrice ».  Pour elle et son mari l’occupation est une fête. Ils participent à des soirées costumées et organisent des dîners où ils retrouvent le tout Paris non seulement mondain mais aussi culturel. Notamment : Arletty, Sacha Guitry, Pierre Drieu La Rochelle et même Paul Valéry. May est avant tout une mondaine.

Marie-Pierre, sa fille, la mère de l’auteur n’est pas vraiment à l’aise dans cet environnement. Elle sent bien que ses parents n’ont pas choisi le bon camp. Les rumeurs qu’elle perçoit sur le sort des enfants juifs lui donnent des nausées. Elle rentre en guerre contre son milieu social. Les motifs d’opposition à ses parents vont au-delà de leur attitude face à l’occupant. Elle refuse en particulier l’avenir qu’ils lui réservent et qui se borne à la réalisation d’un « beau » mariage. Elle, s’intéresse à la littérature, la philosophie, souhaite poursuivre des études ce que ne doivent pas faire les jeunes filles de son milieu. Ses parents lui cherchent des prétendants de qualité. Successivement Rainier de Monaco et Jean d’Ormesson sont pressentis et lui sont présentés officiellement. Elle fait tout pour leur paraître un repoussoir ce qui donne lieu à des scènes savoureuses.

A l’opposé de ce monde futile et totalement irresponsable il y a celui de Simon Nora. Il se sent aussi français que juif et malgré les réticences de son père qui craint pour ses proches, fréquente la Résistance, rejoint l’école d’Uriage puis le maquis dans le Vercors où il se conduit vaillamment et reste l’un des derniers survivants du groupe du Capitaine Goderville.[iii]

Ces destins parallèles finiront par se rencontrer de manière tout à fait fortuite. Les jeunes gens sont mis en relation et présentés par un ami commun et l’amour naîtra entre Marie-Pierre et Simon. Un amour contrarié par leurs deux familles qui s’opposeront à leur liaison. Ils se marieront finalement contre la volonté de leurs parents respectifs.

Le thème de l’amour contrarié par les familles a été abordé à de maintes reprises dans la littérature. Mais la spécificité du roman réside plutôt dans la description d’une époque et d’un milieu.

La collaboration fait partie de l’histoire de la France et ses ressorts son multiples. Celle pratiquée par May et son mari font partie de la collaboration mondaine. L’auteur l’explique très bien : « Les Parisiens qui n’avaient pas rejoint la résistance avaient perdu la maîtrise du temps. Leur seule perspective était de se distraire. » May n’a pas vraiment pensé son attitude qui n’a semble-t-il rien de politique. Même si elle conseille à sa fille de lire « Les décombres[iv] » de Lucien Rebatet, elle est surtout futile et légère, probablement snob, n’aimant que son petit monde, ses dîners, soirées à l’opéra, soirées costumées, peu convaincue par les idéaux d’Europe nouvelle sous la botte Allemande pour lesquels certains Français ont malheureusement combattu et l’ont payé de leur vie. Cette collaboration mondaine peu glorieuse était favorisée par les Allemands, pourvu qu’elle leur profite : « La vie mondaine était exaltée par les occupants, pourvu qu’elle servît leurs intérêts.[v] »

Il y a aussi dans le livre la description et la critique d’un milieu social. Celui de May et de son époux, celui de l’aristocratie française. L’auteur règle ses comptes avec sa famille à laquelle elle ne fait aucun cadeau. Tout y est objet de critiques : l’éducation qu’a reçue sa mère, la conduite de ses grands-parents pendant l’occupation, leurs principes rigides quant à la vie que doit mener leur fille et le genre d’homme qu’elle doit épouser. Elle ne leur laisse rien et cette intransigeance rend la description excessive. Motivations intimes ou sursaut moraliste ? Probablement les deux.

Le tableau que l’auteur brosse de sa grand-mère May rend cette dernière peu sympathique. Marie-Pierre aurait eu toutes les raisons du monde de ne pas aimer sa mère. Mais cette haine est comme souvent malgré tout bordée d’amour et d’admiration. May est une femme fascinante que sa fille n’abandonnera pas quant à la libération elle est incarcérée. Elle fera tout pour la sortir de la situation dangereuse à cette époque pour ceux qui ont collaboré avec l’occupant.

La famille de Simon est mieux traitée que celle des Cossé Brissac même si son père s’oppose aussi au mariage de son fils avec Marie-Pierre. Le docteur Gaston Nora est un ancien combattant de la grande guerre. Il souffre de la trahison de ses frères d’armes qui le lâchent, faisant preuve d’un antisémitisme qu’ils n’avaient pas à son égard lorsqu’ils partageaient le même sort dans les tranchées. Il se croyait français ayant payé le prix du sang et on le renvoie à sa judéité. C’est peut-être une bonne raison pour refuser l’alliance de son fils avec une famille de « vrais français » qui par surcroît ont collaboré avec l’ennemi. Mais cela n’empêchera pas Simon de devenir un héros et d’aimer Marie-Pierre.

« Une brève libération » est un récit à la fois familial et historique puisque ses personnages se meuvent à une époque tragique de l’histoire de France. Les propos de l’auteur ne peuvent ainsi être objectifs. La relation de l’histoire ne l’est jamais et aussi surtout parce qu’il est partie à l’affaire par ses liens familiaux avec les acteurs. Le lecteur qui aura cela à l’esprit se fera son idée propre. Il pourra certainement être séduit par la qualité de la relation du décor et de l’atmosphère d’une époque et par la belle histoire d’amour qui réunira Marie-Pierre et Simon malgré tout ce qui les sépare.

 

 

 

 

[i] Bonni de Castellane (1867-1932) est un dandy de la « Belle Epoque », séducteur, chasseur de dot, haut en couleur. Voir sa biographie : « Bonni de Castellane » par Éric Mension-Rigau. Ed. Perrin 2008.

[ii] L’Ecole des Cadres d’Uriage a été fondée en 1940 et dirigée par le Capitaine Pierre Dunoyer de Segonzac. Initialement d’inspiration Vichyste l’établissement devient vite un réservoir pour la Résistance. Elle est fermée par le régime de Vichy en 1943.

[iii] Goderville est le nom de guerre du résistant Jean Prevost, écrivain qui devint l’un des cadres de la Résistance dans le massif du Vercors où il trouve la mort en 1944 assassiné par les Allemands.

[iv] Lucien Rebatet (1903-1972) est un écrivain journaliste dans la presse collaborationniste notamment dans l’hebdomadaire « Je suis partout ». Il écrit et publie « Les Décombres » en 1942. Il y expose les raisons de la défaite de la France en 1940 et prône la collaboration avec l’Allemagne Nazie.

[v] Pour connaître le point de vue de l’occupant sur ce type de collaboration très parisienne voir Ernst Jünger « Premier Journal Parisien » et « Second Journal Parisien » dans « Journaux de Guerre » Tome 2 dans la Bibliothèque de la Pléiade.

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