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On était des loups de Sandrine Collette

14 Février 2023 , Rédigé par François ROUX

On était des loups de Sandrine Collette

Un titre énigmatique pour ce roman exceptionnel qui ne peut laisser indifférent. Il faudra le lire jusqu’au bout pour comprendre. Le narrateur prénommé Liam nous raconte une histoire, la sienne. C’est un homme des montagnes, un trappeur dont on ne connaît pas vraiment l’âge. On ne connaît pas non plus le lieu où se déroulent les faits relatés, probablement à une époque proche de la nôtre puisque l’automobile et l’avion sont mentionnés. Tout cela confère au récit un aspect mythique voir parabolique qui nourrit la réflexion du lecteur à laquelle ce livre ne peut qu’amener au-delà du récit épique qu’il contient.

Liam vit dans une maison perdue dans la montagne. Le premier voisin est à trois quart d’heures de marche. Il vit de sa chasse, son occupation principale en automne et au printemps. Pendant les quatre mois d’hiver, quand le gibier semble disparaitre, il reste enfermé chez lui et entretient et répare sa maison.

Liam partage sa vie avec Ava, sa compagne dans ce monde qu’elle n’a pas vraiment choisie. « Elle m’a suivi, c’est tout » explique Liam. Quand Ava lui demande de lui faire un enfant il finit par accepter sans enthousiasme pensant en lui-même que c’est une erreur. « On ne fait pas un gosse dans un endroit comme cela. » En effet sa maisons est si loin du premier hôpital ! Dans cet environnement où les urgences n’existent pas, soit on est vivant soit on est mort. Il n’y a pas d’entre deux. Pouvait-on vraiment emmener un enfant dans cette aventure ? Mais Liam se laisse finalement convaincre. 

Et c’est ainsi que naît le petit Aru dont s’occupe sa mère car « …les enfants, c’est le travail des mères. Moi je porte des armes j’abats des cerfs et je pars chasser pendant une semaine en bivouaquant sous les étoiles ou dans une tente, et au milieu de ces espaces-là il n’y a pas de place pour un enfant. Sa place à lui c’est à la maison auprès de sa mère et ça s’est fait naturellement… » Liam n’a apparemment aucune idée de ce qu’est le « partage des tâches » ! Voilà le portrait d’une organisation familiale qui n’est pas franchement d’aujourd’hui. En contradiction avec nos conceptions du rôle des pères. Mais le couple a-t-il vraiment le choix dans l’environnement qui les entoure ? Et puis nous sommes bien entendu dans un monde de fiction.

Après la naissance d’Aru, Liam regarde le petit comme un intru dans ce monde qui n’est pas fait pour lui. Il va même jusqu’à évoquer ce que son père avait fait à une portée de petits chats dont il voulait se débarrasser. Quelques lignes terribles, effrayantes ! Plusieurs fois dans le récit, Liam pensera à se débarrasser de son fils. Mais il n’est pas totalement dénué d’amour paternel. En effet, ce sentiment purement instinctif au début finira par naître petit à petit. Il sera d’abord issu d’une immense tristesse face à la faiblesse et à la fragilité de ce petit être jeté au sein d’une nature impitoyable. Puis les évènement le conforteront et le transformeront progressivement en un amour profond. Liam deviendra père, même si c’est un père à sa façon. C’est ce chemin initiatique vers la paternité que nous décrit ce roman, ponctué d’évènements tragiques et émotionnellement forts.

En toile de fond du récit, il y a la nature, la vraie, pas le tableau idyllique que nous brossent certains écologistes des villes. Une nature dure, impitoyable, sélective où ne survivent que les plus forts, où les relations entre les espèces et dans les espèces sont construites sous la forme de rapports de domination. Cette nature n’aime pas l’homme. « C’est comme si elle nous détestait, la nature, et dès qu’on fait quelque chose elle tend à le détruire pour reprendre tout l’espace. On croirait qu’il n’y a pas de place pour elle et nous, il y en a un de trop là-dedans. » Les ours tuent les gens et c’est normal car ils viennent reprendre leur terre et leur air. Le monde n’est pas gentil. Liam a une vision pessimiste de cette nature voir du monde en général, loin de l’approche rousseauiste que nous connaissons aujourd’hui.

Mais il a sa place dans cet environnement où il se sent bien. Son amour pour les loups est un thème qui revient à plusieurs reprises. Il aime les entendre chanter : « …surtout quand ils sont plusieurs ça me donne des frissons et je n’ai qu’une envie c’est faire partie de la meute, ça vient de loin à l’intérieur de moi… » Ces chants qui l’émeuvent il les compare au chant des sirènes qui fascinent le marin. Ils évoquent un temps où on était des loups et les loups étaient des hommes, c’est d’ailleurs le titre du roman, une vieille connivence, un temps où l’univers était une sorte de fusion. Comme pour évoquer cette époque Liam chante avec eux.

C’est au sein de cette nature oubliée par l’homme moderne que Liam découvrira la paternité. Mais n’est-ce pas en opposition à la nature que ce sentiment naîtra ? La paternité n’est-elle pas un affect purement humain inconnu de la plupart des animaux ? C’est là le paradoxe de ce roman qui aborde les questions de la place de l‘homme dans la nature dont il diffère finalement.  

Le livre est écrit à la première personne, l’écriture est sobre et le lecteur a l’impression de suivre pas à pas les gestes et les pensées du narrateur/acteur. L’action pure et les instants d’émotion se succèdent sans relâche, sans grandiloquence. Si l’on veut évoquer un livre et un film à propos de « On était des loups » on peut trouver des similitudes avec « La route » le roman de l’Américain Cormac Mc McCarthy (le livre a inspiré un fils de John Hill Coat) et du remarquable film de Sidney Pollack « Jeremiah Johnson ». « On était des loups » a tous les ingrédients pour faire un excellent film même si la grande qualité de l’œuvre littéraire se suffit en elle-même. Mais cela relève d’un autre débat.

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