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L'Anarque. Mes notes de lecture.

L'Anarque

Le Chant d'Achille de Madeline Miller. Un roman qui incite à relire Homère.

 

Le monde Grec n’était pas vraiment « politiquement correct » au sens d’aujourd’hui. Que ce soit sur la place de la femme dans la société, la pratique assumée de l’esclavage, l’exaltation des valeurs guerrières masculines, tout cela ne correspond pas aux idées de notre temps notamment celles qui nous arrivent d’outre Atlantique. C’est pourtant de là que nous parvient Le Chant d’Achille de l’Américaine Madeline Miller professeur de latin et de grec ancien aux Etats Unis. Son livre fondé sur des faits relatés dans l’Iliade d’Homère nous conte l'existence tragique de Patrocle et d’Achille.

La reprise dans un roman contemporain d’une histoire racontée dans l’un des plus anciens et des plus grands livres de l’humanité, écrit entre 850 et 750 avant JC, relative à des évènements bien antérieurs, revue sous l’angle de la modernité était un exercice périlleux. Ainsi présenté, la crainte de lire un récit susceptible de trahir l’original et de livrer au lecteur une interprétation fallacieuse d’un poème épique écrit il y a très longtemps dans un univers bien spécifique et surtout si différent du nôtre était légitime. Et ce tout particulièrement venant d’une auteure contemporaine qui n’est pas semble-t-il insensible aux idées actuellement en vogue dans certains milieux d’intellectuels américains (voir sur ce point la préface du livre). Cette crainte était infondée et le lecteur amoureux de l’Iliade pourra sinon s’y retrouver complètement mais au moins reconnaître dans Le Chant d’Achille certains fondamentaux de ce monde fascinant de la Grèce antique.

Dans ce roman, le narrateur Patrocle nous raconte sa vie avec Achille depuis leur enfance avant la guerre de Troie jusqu’à leur mort et même au-delà. Les deux hommes sont amants et l’auteure qui est une femme de son temps met en scène l’homosexualité de ces personnages sans aucun tabou. Cela on le subodorait car le texte de l’Iliade même s’il ne le dit pas expressément fait preuve d’une certaine ambiguïté à cet égard. L’auteure dans sa préface nous rappelle également que Platon y faisait ouvertement allusion dans Le Banquet. Patrocle est plutôt réservé faisant preuve d’une certaine sensibilité. Il deviendra un héros malgré lui. Achille est colérique, impulsif et surtout il est brave. Il doit gérer ses relations avec les autres Grecs et aussi avec sa mère, la déesse Thétis, mère abusive (tiens donc… !) qui n’aime pas Patrocle, l’amant de son fils adoré et ne se prive pas de le dire. Les deux hommes entretiennent un amour romantique qui ne s’éteindra jamais et perdurera au-delà de leur mort. Le caractère et la manière de penser des personnages, leurs sensibilités, leurs doutes pourraient ressembler à ceux des hommes de notre temps. Les relations entre homme admises chez les Grecs n’étaient peut-être pas exactement celles que décrit l’auteure. De même le ménage à trois qu’Achille et Patrocle entretiendront avec Briséis semble également relever d’une une invention de Miller. Mais ces interprétations libres, énoncées dans des termes contemporains ne sont pas gênantes car bien ficelées littérairement et émotionnellement. L’important c’est que dans Le Chant d’Achille on retrouve bien le fond de l’œuvre littéraire d’Homère et c’est le cas.

On retrouve en effet dans le roman, le chant de guerre qu’est l’Illiade, notamment dans l’esthétique virile et guerrière de l’épopée d’Homère qui est décrite par l’auteure du Chant d’Achille. La description des Myrmidons (les guerriers d’Achille) par exemple est sans équivoque : « Ils étaient alignés, revêtus de leur armure et soudain effrayants, les couches de métal qui les recouvraient lançant des éclairs comme les ailes luisantes des cigales » De même les héros sanguinaires et cruels de l’Illiade sont mis en scène sans concession par Miller dont les mots qui frappent ne trahissent pas l’œuvre d’Homère. A propos de Diomède, l’un des héros Grecs, compagnon d’Agamemnon : « …Diomède se montrait sans peur. Il se battait de la même façon qu’un animal sauvage, bondissant en avant en montrant les dents, et ses bottes rapides ne fendaient pas juste la chair, mais l’arrachaient. A la fin, il se penchait sur le corps tel un loup pour le dépouiller, jetant des morceaux d’or et de bronze dans son char avant de passer au suivant. » Le lecteur contemporain de l’Illiade est surpris lors de chaque relecture de l’œuvre par la violence et la cruauté avec laquelle Homère relate les combats. Miller est dans cette verve et la reprend avec talent. Quand Achille revient dans sa tente après avoir tué Hector, « …il est barbouillé de rouge de la tête aux pieds ; ses coudes, ses genoux, son cou ont pris une teinte rouille. » Plus tard il traînera « …derrière lui le corps d’Hector, les chevilles percées d’un lien de cuir. La barbe bien taillée du Troyen est mêlée de terre, son visage noir de poussière sanglante à force d’avoir été tiré au galop par les chevaux attelés au char. ». On aimera aussi la manière dont Miller fait évoluer Achille. Les mots fiers qu’il prononce quand il se présente au très antipathique Agamemnon avant de refuser de s’agenouiller devant lui : « Je suis Achille, fils de Pélée, de descendance divine, meilleur des Grecs, venu pour vous apporter la victoire. ». Il y a là un peu du : « My name is Bond, James Bond » traditionnellement prononcé dans les films tirés de l’œuvre de Ian Fleming mais c’est tout de même le niveau au-dessus ! Enfin on pourra être ému par le sourire d’Achille quand touché à mort par la flèche que lui a décoché Paris aidé par Apollon (les dieux sont omniprésents dans les histoires humaines) son visage s’abat sur le sol. Le roman de Miller n’esquive pas la grandeur de ces caractères, le tragique des situations et la cruauté réaliste des combats.

Le Chant D’Achille donne bien entendu envie de se replonger dans « l’original », l’œuvre d’Homère qui est avec quelques autres l’un des livres fondateur de notre culture occidentale. Le texte de l’Iliade est certes plus difficile d’accès et sa lecture requiert aussi des connaissances de la mythologie et du monde Grec qui ne sont pas nécessaires pour lire le roman de Madeline Miller qui s’en inspire et en a certainement bien saisi l’esprit. Il redonne enfin peut être aussi ses lettres de noblesse à l’Iliade parfois considéré comme moins profonde que l’Odyssée où certains lisent l’évocation de sujets plus philosophiques telle que la nostalgie [1], le féminisme, ou le déracinement.

 

 

 

[1] Sur ce sujet lire l’essai de Barbara Cassin La Nostalgie aux Editions Autrement. Collection Les Grands Mots. Paris 2013

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