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L'Anarque. Mes notes de lecture.

L'Anarque

Les Eclats de Bret Easton Ellis

 

Vous avez aimé le roman de Bret Easton Ellis American Psycho voir même simplement le film tiré du livre[1], vous aimerez Les Eclats. Ce n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains. Bret Easton Ellis, on le sait, aime la transgression et il donne libre cours à son penchant dans son dernier roman. Le récit est ponctué de scènes explicites en matière sexuelle, d’images « gore » ou d’évocations répétées de consommation de stupéfiants et autres drogues souvent illicites, le tout s’intégrant dans une histoire bien ficelée qui devient de plus en plus angoissante et mystérieuse au fur et à mesure que l’on tourne les pages de cet épais roman. Il est enfin écrit à la première personne ce qui accentue la véracité apparente des faits rapportés.

Au début des années quatre-vingt le jeune Bret a 17 ans et habite à Los Angeles où il est scolarisé en classe terminale à Buckley, une école réservée aux enfants de riches. Ses amis de classe sont tous blancs, beaux, fortunés et désinhibés face à la drogue et au sexe. Bret est bisexuel même s’il semble finalement préférer les amours avec d’autres garçons. Il est amoureux de Thom le beau quarterback de l’équipe de football de l’école qui hélas pour lui est hétérosexuel. Thom forme avec Susan le couple idéal. « Thom et Susan étaient d’une beauté confondante, typiquement américaine, blonds, yeux verts, perpétuellement hâlés. » Bret sort tout de même officiellement avec Debby. Cette dernière doit bien deviner les penchants secrets de son petit ami mais ne semble pas lui en tenir rigueur. Tout à l’air d’aller très bien dans cet univers merveilleux lorsqu’en milieu d’année, un nouvel élève rejoint l’école en classe de terminale. Il s’agit de Robert Mallory dont l’arrivée va provoquer quelques secousses au sein du petit monde des enfants gâtés de Buckley. Bret d’abord fasciné, le mot est faible, par la beauté de Robert, sera pris de doutes sur la personnalité réelle du jeune homme et ses interrogations deviendront bientôt obsessionnelles. Au même moment des actes criminels commis par un tueur en série sont attribués par la presse locale à un individu qu’elle dénomme le Trawler. Ce dernier pénètre chez les gens, dérange leur mobilier, tue ou estropie leurs animaux de compagnie et souvent leur maître dans des conditions assez sales. Atmosphère angoissante, mystérieuse surtout dans les dernières pages, tout cela est très bien ficelé.

Le livre entre dans la catégorie des romans policiers. Il en utilise tous les artifices mais il va au-delà. On y trouve en effet un cadre, un décor, la mise en scène d’une population bien spécifique qui caractérisent le monde dans lequel se déroule le récit et qui font une grande part de l’intérêt du roman. Certains trouveront trop longue la première partie. Il est vrai qu’il ne se passe pas grand-chose avant la deuxième moitié de l’œuvre. Mais dans ce début quand l’auteur pose le décor, le lecteur pourra être sensible à la description de cet univers qui possède tout de même une certaine esthétique et des repères sociologiques et culturels bien réels. D’autres tout en les trouvant détestables liront ces pages ne serait-ce que par curiosité et cela en vaut la peine.

L’époque est celle du début des années quatre-vingt. Ce sont les « années frics » alors que triomphent les idées libérales de l’ère Reagan. Il n’y avait en ce temps-là pas d’alternative à l’application de la doxa libérale qui enrichissait de manière indécente ceux qui savaient et pouvaient en profiter. La jeunesse dorée de Buckley vit dans des maisons luxueuses, se rend à l’école dans des voitures de prix alignées dans le parking de l’établissement. La description du logement de Bret dans la luxueuse maison de ses parents est éloquente : « …j’avais une entrée séparée avec une véranda qui donnait sur la piscine et une kitchenette équipée d’un réfrigérateur rempli de Ginger Ale et de Perrier, une énorme salle de bains, avec douche et baignoire, le tout situé suffisamment près du garage pour que je ne passe quasiment pas de temps dans le reste de la maison. » Pas mal pour un gamin de dix-sept ans ! Et tout cela se déroule en Californie entre mer et canyons. Le récit détaille les itinéraires suivis par les personnages quand ils se déplacent au volant de leurs BMW, Porsche ou Mercedes 450SL. Il abreuve le lecteur de noms de rues, de lieux emblématiques : West Hollywood, Melrose, Mulholland, Pacific Coast Highway, Bel Air. Ces noms parleront aux amateurs de cinéma américain ou tout simplement à ceux qui connaissent et aiment la Californie du sud. La musique de ces années-là accompagne le décor comme dans un film : on écoute les Eagles, Queen, Neil Diamond, Blondie, Elvis Costello, Fleetwood Mac et bien d’autres dont on peut aujourd’hui regretter la qualité.

Ces adolescents sont dépourvus de tout idéal au sens où nous l’entendons aujourd’hui. La génération si politique des soixante-huitards est passée et les interrogations sur le climat ou la défense de toutes les minorités ethniques et sexuelles ne se posent pas encore ou en tout cas pas dans leur monde surprotégé. « Dire que l’un de nous était politiquement engagé, ç’aurait été transposer cette notion dans un territoire de conte de fées ; nous étions des adolescents distraits par le sexe et la pop music, le cinéma et les célébrités, le désir et les choses éphémères, et notre propre neutralité innocente. » Pour ce qui concerne le sexe il n’y a ni tabous ni limites. Ces jeunes gens touchent à tout type de sexualité et la partagent même parfois avec les adultes. L’homosexualité apparaît fréquente chez les garçons qui toutefois ne la dévoilent pas ouvertement et n’en font pas un combat politique. Enfin, parents et enfants se droguent allègrement, sans limite car quand on a les moyens, pourquoi s’en priver ! Face aux vicissitudes de l’existence et à ses imprévus, ils prennent des « remontants » qui sont très efficaces et dont l’auteur/narrateur qui avale un valium dès qu’il se sent une faiblesse sait apprécier l’effet.

Mais ces « jeunes adultes » ne sont pas totalement idiots. Ils font des études et projettent de rejoindre les meilleures universités. Ils lisent de bons livres. Bret et son ami Thom aiment tous deux Gatsby le magnifique[2] et Le soleil se lève[3] aussi. Ils vont voir d’excellents films, ceux de Robert Altman et de Brian de Palma. Ils vivent ainsi comme des adultes autonomes sans leurs parents souvent absents : « …le fait de ne pas avoir rapport avec leurs parents pendant des jours ne semblait pas particulièrement bizarre ou anormal. ». Ils acquièrent ainsi une forme de maturité que n’ont pas d’autres au même âge. Leur seule faiblesse est finalement qu’ils mènent une existence en dehors du réel « dans ces enclaves falsifiées du monde où nous devions évoluer » reconnaît l’auteur.

Le roman est écrit à la première personne. Le récit est en effet narré par l’auteur lui-même qui prétend en avoir été l’un des acteurs et ceci lui donne un aspect autobiographique qui accentue sa crédibilité. A tel point que l’on se demande s’il s’agit là de la relation de faits réels ou d’une simple fiction. Dans sa narration Bret Easton Ellis accentue probablement de manière excessive les contours du paysage, de l’atmosphère, les caractères des personnages et leurs excès en tout genre. Même s’il y a un fond de véracité dans son tableau, on imagine bien que tous les jeunes gens qui habitaient à Los Angeles au début des années quatre-vingt ne se droguaient pas sans limites, ne conduisaient pas que des voitures de luxe et n’étaient pas des obsédés sexuels, tout cela à la fois et ce même dans les milieux les plus fortunés. Ce grossissement parfois grossier des traits d’une époque vat elle jusqu’à la falsification de la réalité ? Mais finalement peu importe car on le sait bien, la vérité non seulement ne compte pas et peut-être n’existe-t-elle-même pas, surtout dans une œuvre littéraire. Et même si elle existait qu’apporterait-elle de plus à l’histoire ? Un roman est un rêve écrit Bret Easton Ellis dès les premières pages. Il nous explique enfin que traumatisé par des évènements survenus au cours de sa dernière année de lycée à Buckley, il a mis du temps à pouvoir écrire ce livre à se remémorer ce qu’il a vécu dans son adolescence. Et l’on peut penser qu’au fond de lui-même il l’a un peu aimé. Le processus psychologique de Bret narrateur est complexe et fait preuve d’un certain masochisme. En rappelant ces évènements tragiques, le fait qu’ils aient eu lieu dans un environnement qui n’existe plus mais dans lequel il se sentait bien et par surcroît au cours de sa jeunesse atténuent sa douleur ou peut-être même la rende agréable. La réminiscence du passé même tragique peut avoir du charme. Il n’y a là rien de nouveau.   

Le lecteur est en permanence branché sur la conscience du narrateur qui se donne deux postures face au monde qui l’entoure au cours du récit. Il est soit le vrai Bret souvent perturbé par le tragique imaginé ou réel des circonstances soit celui qu’il dénomme « le participant palpable » (le traducteur aurait peut-être pu retenir des termes plus harmonieux) quand il joue le jeu du garçon « raisonnable » qui pense et analyse comme on supposerait ou souhaiterait qu’un individu « normal » le fasse. Curieusement on notera également que le mot « torpeur » revient un nombre incalculable de fois dans le texte pour décrire l’ambiance ou l’état apparent des acteurs du livre à un moment donné. Cette torpeur est souvent liée aux paradis artificiels qu’offrent les substances que consomment abusivement les protagonistes de l’histoire. Elle décrit aussi peut être le sentiment d’irréalité globale du monde dans lequel ils vivent au quotidien, irréalité dont l’auteur devenu plus qu’adulte est bien conscient. La torpeur c’est aussi ce qui peut caractériser le monde du rêve. Le rêve qu’a fait Bret Easton Ellis et qu’il nous raconte dans le roman.

 

 

 

[1] American psycho est un film de 2000 de la Canadienne Mary Harron

[2] The Great Gatsby de F. Scott Fitzgerald

[3] The Sun Also Rises de Ernest Hemingway

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