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L'Anarque. Mes notes de lecture.

L'Anarque

Relire Aurélien de Louis Aragon. Un très grand roman.

Relire Aurélien de Louis Aragon. Un très grand roman.

J’ai ressenti pendant cette période de confinement l’envie de lire, ou de relire, un bon vrai roman dont l’auteur est un écrivain, artisan des mots et de leur ordonnance, une valeur sûre de la littérature française, au style travaillé, également capable d’aborder des questions existentielles intemporelles dans son récit. J’ai pensé à Aragon dont les romans sont pour moi des chefs-d’œuvre au même titre que sa poésie. On a d’ailleurs souvent tendance à encenser celle-là et à oublier l’œuvre romanesque. J’ai retrouvé « Aurélien » dans ma bibliothèque. Je ne l’avais pas ouvert depuis quelques années. J’avais découvert ce que je recherchais ! Une écriture riche et complexe, de la prose qui effleure parfois la poésie, un théâtre dont la description analytique des personnages, de ce qu’ils vivent, de ce qu’ils pensent et ressentent est si fine que l’on a l'impression de les connaître intimement.

Aurélien est peut-être moins original et le rythme moins soutenu que ce que l’on trouve dans d’autres romans d’Aragon. Dans « Les beaux quartiers » et surtout dans les « Voyageurs de l’Impériale » il y a plus d’action, de suspens, un récit plus prenant. Rien de tout cela dans cette histoire d’un amour jamais consommé et qui n’aura pas de suite. Certains trouveront même peut être le livre un peu long et l’imagination de l’auteur un peu courte quant à ses péripéties. Oui mais c’est Aragon qui tient la plume et qui impose son style ! 

Le roman ayant été écrit pendant les années de guerre il lui a été reproché d’avoir traité des sujets futiles sans rapport avec que qu’avait vécu la France occupée. De même, le livre a été critiqué par les « camarades » qui trouvaient que les thèmes que les écrivains membres du parti devaient obligatoirement traiter dans leurs œuvres n’était pas abordés dans le livre qui est « apolitique » ce qui chez un marxiste est un crime. C’est tout à l’honneur d’Aragon, même s’il faut noter que la doxa communiste est tout de même parfois indirectement évoquée, ne serait-ce que de manière subliminale. Par exemple, la rencontre d’Aurélien et de Riquet ouvrier d’usine à la piscine, rue Oberkampf. Malaise des deux hommes lorsqu’ils ne sont plus en maillot au bord du bassin où ils se sont rencontrés mais alors qu’ils prennent un verre à l’extérieur, habillés, ce qui fait ressortir leurs différences de « classe ». Etonnement de Riquet lorsqu’Aurélien lui raconte qu’il ne fait rien dans la vie ! 
La personnalité d’Aurélien est attachante et j’ai ressenti, plus que dans ma lecture précédente du roman, de la sympathie, voir de la compassion pour lui. Quand il rencontre Bérénice, il est un homme oisif ayant quelques moyens, menant une vie de plaisir sans soucis. Il travaille un peu pour la forme dans un cabinet d’avocat où il ne fait pas grand-chose. Il aime les femmes, la vie nocturne et fuit les problèmes de tout ordre. Mais il n’est pas cet égoïste tel que Mercadier, le personnage des « Voyageurs de l’Impériale » qui lui, choisit et revendique de ne rien faire. Aurélien a des excuses. Il en a bavé ! Mobilisé en 1914 alors qu’il terminait son service militaire, il passe en tout huit ans dans l’armée dont quatre comme combattant de la grande guerre au cours desquelles il est blessé. Cela est de nature à bouleverser une existence et changer son homme ! On peut comprendre qu’au retour dans la vie civile il ne parvienne pas à se sentir bien dans la société de l’entre-deux guerres et ait envie de jouir de l’existence dans son joli appartement de l’Ile Saint Louis à Paris. « …je ne suis jamais tout à fait sorti de la guerre…je ne m’en suis jamais tout à fait débarrassé…Je me réveille encore la nuit avec la peur des minen, comme en 1915.. » avoue Aurélien au Docteur Decoeur qui lui, a échappé à la guerre mais pas à la tyrannie de son épouse. Par surcroît comme il est séduisant, les femmes tournent autour de lui et il n’a qu’à se pencher pour en profiter. Son ami Edmond Barbentane a choisi une autre voie. Il a épousé une femme riche et mène grand train en gérant (mal par ailleurs !) des affaires de tout ordre.  

Et Aurélien fait la connaissance de Bérénice. Cette rencontre, pas nécessairement pour le meilleur, marque profondément son existence : « Au fond, le siècle d’Aurélien s’écrit en deux mots : il y avait eu la guerre, et il y avait Bérénice. Qu’importe ces trois années de transition ! Maintenant il était un homme, il avait un but, et le plus haut, l’amour… » Les choses commençaient mal comme le laisse entendre le célèbre incipit du roman : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. » Le schéma est connu. La première rencontre est décevante, ne laisse présager aucune suite. Lors de la deuxième c’est le coup de foudre ! Tout l’art de l’auteur est de décrire minutieusement la naissance complexe d’un sentiment qui deviendra une passion pour Aurélien. La découverte progressive de Bérénice qui lorsqu’elle ferme ses beaux yeux noirs devient une autre, n’est plus celle qu’il avait trouvée laide lorsqu’il l’avait vue la première fois les yeux ouverts. Aurélien endurci par quatre années de guerre, homme à femmes de toute condition, séduisant bourgeoises (Blanchette Barbentane, Mary de Perseval, Rose Melrose) et prostituées (Simone) va devenir esclave de sa passion pour cette femme qu’il ne trouvait même pas jolie lorsqu’il la rencontra. 

A la relecture du roman, il me semble que Bérénice est finalement peu sympathique. Elle se refusera à Aurélien tout au long du récit mais sans rejeter totalement la possibilité d’une relation. Incapacité de prendre une décision ou jouissance malsaine de faire languir Aurélien ? On ne sait pas très bien. Peut-être est-ce Aragon qui donne la réponse : Bérénice avait le goût de l’absolu nous dit-il. « Qui a le goût de l’absolu renonce par là même à tout bonheur. Quel bonheur résisterait à ce vertige, à cette exigence toujours renouvelée. » Elle aura pourtant une aventure qui sera consommée avec le jeune poète Paul Denis qu’elle plaquera ensuite sans ménagement, ce dont le jeune homme ne se remettra jamais. Enfin Bérénice est mariée à un pharmacien de province infirme par surcroît (il a perdu un bras…). Cela fait beaucoup ! On peut même se demander si Aragon n’a pas choisi de décrire le type de femmes que les hommes doivent éviter à tout prix ? Bérénice serait-elle vénéneuse ? De même le personnage d’Edmond Barbentane serait son homologue au masculin, le type d’homme que les femmes devraient fuir. Immoral et ambitieux, intéressé, infidèle. Sa femme Blanchette qui lui a apporté une fortune confortable tentera d’ailleurs de se suicider. Mais c’est peut-être finalement l’amour qui d’une manière générale est profondément contradictoire avec le bonheur ce qu’Aragon confirme dans un poème connu (écrit en 1943 !) : « Il n’y a pas d’amour heureux ».

Il y a beaucoup de personnages dans Aurélien, certains déjà mis en scène dans les romans précédents comme Edmond Barbentane, son épouse Blanchette, Diane de Nettencourt, Adrien Arnaud. Aragon comme Balzac aime les suivre au fil de ses romans. J’avais oublié depuis mes précédentes lectures, le Docteur Decoeur époux esclave de Rose Melrose artiste dévoreuse d’hommes dont l’addiction à sa femme et sa soumission sont pathétiques. Toutes ces figures font vivre et enrichissent un récit dont le thème finalement assez banal est magistralement traité. Cela fait du bien de lire de temps en temps un vrai bon roman, une œuvre littéraire !

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M
C'est top, merci beaucoup, au plaisir de vous voir ❤
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F
Merci beaucoup.