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L'Anarque. Mes notes de lecture.

L'Anarque

Morny, un volupteux au pouvoir. Jean-Marie Rouart

Morny, un volupteux au pouvoir. Jean-Marie Rouart

Le second empire a aujourd’hui mauvaise presse. Dans l’imaginaire historique des français le régime impérial de Napoléon III est entaché dès l’origine par le coup d'état du 2 décembre 1851, péché originel qui pour beaucoup discrédite définitivement cette période de l'histoire de France. Et pourtant ! Le second empire rétablit le suffrage universel, le droit syndical et le droit de grève, tout ce que la République n'avait jusque-là pu offrir. Le régime sut également promouvoir et encadrer une révolution industrielle qui avait déjà eu lieu en Angleterre faisant ainsi de la France un état moderne dont les régimes qui suivront profiteront.

Mais ceux qui s’intéressent à cette époque et ils existent, peuvent également être sensibles à « cette atmosphère de corruption décontractée, de galanterie, de vaudeville », à l’esthétique voir le folklore qui règnent tout au long de cet épisode de l’histoire de France. Le charme des fêtes rythmées par la musique d'Offenbach aux Tuileries, à Fontainebleau, à Compiègne ou dans de beaux hôtels de la Plaine Monceau, tableaux multicolores rehaussés par les uniformes chatoyants de brillants officiers, la grâce ou la sensualité comme on voudra de femmes en crinoline qu'elles appartiennent au grand monde ou au demi-monde telles les cocottes mises en scène par Zola dans son superbe roman « Nana ». Enfin le second empire ce sont des hommes et des femmes hauts en couleur, certains exceptionnels. Des hommes d’état, des financiers, des aventuriers et des aventurières de tout ordre, des voyous, des artistes, des entrepreneurs, des demi  mondaines, tout ce beau monde jamais très loin du palais ou qui essaient d'en approcher. Ils seront les personnages de romans de nombreux auteurs contemporains, les Balzac, Zola, Daudet. (1) Parmi eux il en est un qui est incontournable non seulement par le rôle qu'il a joué dans l'instauration du régime mais aussi parce qu’il représente selon moi la quintessence de l'homme de ce temps. Il s'agit du duc de Morny, le demi-frère de l'Empereur. 

Au-delà du personnage historique souvent caricaturé, il y a un homme de chair et de sang qui mérite d'être connu dans son intimité et il fallait un écrivain de talent peut être plus qu'un historien pour nous le compter. C'est ce que Jean-Marie-Rouart réussit brillamment dans "Morny, un voluptueux au pouvoir." L'auteur connaît bien l'histoire certes, mais il va plus loin en explorant les ressorts intimes, les faiblesses, les névroses de l'homme que beaucoup ont décrit négativement comme un affairiste cynique et insensible.

Cela commence mal pour Morny. Il naît bâtard, produit des amours adultérines d'Hortense de Beauharnais, mariée à l'un des frères de Napoléon (Louis roi de Hollande) avec Charles de Flahaut courageux hussard de l'Empire (le premier) qui fera une très belle carrière militaire puis diplomatique. Mais le tableau n'est pas encore complet. Flahaut (le père de Morny) est le fils illégitime de Talleyrand. (2) Cela fait beaucoup pour Morny dont la venue au monde a par surcroît eu lieu dans le plus grand secret. Son acte de naissance est faux de même que le nom de Morny qui lui est attribué presque par hasard car il lui fallait bien un nom !

Pour Rouart la bâtardise voir l'interrogation sur ses origines produit souvent des êtres exceptionnels. Il voit par ailleurs dans la quête incessante de sensualité de Morny les conséquences de l'absence de mère et l'exploration de l'énigme de son origine. Intéressante analyse ! Ce que l'on peut dire est que la naissance de Morny n’eut pas lieu dans des conditions de tout le monde et que son ascendance est constituée d'êtres vraiment exceptionnels (Talleyrand, Flahaut, Hortense de Beauharnais).  Mais Morny est aussi et peut être même surtout, le demi-frère de Napoléon III.

C'est une position difficile pour celui qui veut entrer en politique à cette époque. Rouart nous dit qu'avant qu'ils ne se rencontrent, instinctivement Louis-Napoléon n'aimait pas Morny. Il lui rappelle l'infidélité de sa mère et la vie sentimentale agitée de cette dernière. L'entrevue a lieu à l'Elysées en janvier 1851. Moment fort sur lequel on ne sait pas grand-chose. Le prince- président aurait accueilli Morny en le serrant dans ses bras et la réunion aurait commencé à dix heures pour se terminer à une heure du matin. L'auteur ne nous en raconte pas plus. Il a raison car il semble qu'il n'y ait pas eu de témoins. On peut tout imaginer mais la suite de cette relation laisse penser que les deux hommes se sont plus et se sont découverts des affinités qui dépassent celles qui existent naturellement entre deux demi-frères. On connait la suite. Tout au long de leur relation, l'Empereur sera parfois ingrat avec lui. Après le coup d’état du 2 décembre dont Morny fut le principal artisan et le plébiscite qui suivit largement gagné par Louis Napoléon, ce dernier est agacé par ce frère trop brillant trop sûr de lui qui lui rappelle à la fois l'adultère de sa mère et les victimes du coup d'état. A propos d'un désaccord sur le sort des biens de la famille d'Orléans que le président veut confisquer contre l'avis de Morny (il est fidèle en amitié c’est l’une des qualités de l’homme) celui-ci démissionnera de ses fonctions ministérielles. Mais il retournera en grâce et prendra en 1854 les fonctions de Président du Corps Législatif à la demande de l’Empereur qui reconnaît les qualités uniques de Morny. Napoléon III sera aussi présent lors de la triste agonie de son demi-frère, moments émouvants, la fin d’un grand homme est toujours dramatique, que Rouart raconte en détail. L’Empereur en sera fortement affecté.

Au-delà de l'ascendance de Morny et de sa parenté avec le futur empereur, il y a les qualités personnelles de l'homme et elles ne sont pas des moindres. Cet élégant dandy, pilier du Jockey Club, des champs de course et des salles de jeu, que rien ne semble effrayer est aussi indéniablement courageux. Un courage physique tout d’abord dont il fera preuve pendant sa courte carrière militaire notamment en Algérie où il est officier d'ordonnance du général Oudinot puis du Général Trézel auquel il sauve la vie lors du siège de Constantine. Cela lui vaudra la Légion d’Honneur. Il n'est toutefois pas fait pour l'armée et démissionnera. L'homme préfère les bals dira de lui sa hiérarchie militaire. Mais c'est surtout lors du coup d'état du 2 décembre dont il est l'artisan qu'il montrera un calme, une résolution et une lucidité impressionnants. L'aventure était risquée et il le sait bien. Il ne perdra jamais son sang-froid, analysera, ordonnera et imposera sa méthode notamment celle qui est d'éviter de faire circuler la troupe dans Paris, laissant l'insurrection se développer pour mieux l'écraser par la suite. Stratégie brutale, on la lui reprochera par la suite, mais efficace et qui réussit parfaitement. Il faut à cet égard relativiser le prix de la réussite du putsch : il y aura dix fois plus de victimes lorsque Thiers et Jules Favre écraseront la Commune quelques années plus tard.

Il n'est pas toujours l'homme froid et calculateur égoïste dépeint par certains. Morny est fidèle en amitié on l’a dit. Lors du coup d'état, il veille à la sécurité de ses amis qui sont dans l'opposition. L'un d'entre eux (Bixio) lui écrira:" Merci de m'avoir traité comme je vous aurais traité, si les rôles avaient été invertis, avec une courtoisie affectueuse, mais en ennemi politique qu'on respecte." Mais il est vrai qu'avec ceux qu'il juge irrécupérable "les révolutionnaires", s'ils ne sont pas tués par la troupe, il les fait déporter. Il écrit à son père Flahaut qui a fait la campagne de Russie: "Croyez-moi si vous voyiez un socialiste de près vous n'hésiteriez pas à lui préférer un cosaque. " Il est réaliste et visionnaire, tant sur le plan politique que sur le plan des affaires. Comme Président du Corps Législatif, il sera l'un des artisans de l'évolution libérale de l'Empire et mettra en oeuvre l'assouplissement du régime qui aura finalement lieu. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait peut être évité la guerre contre la Prusse qui aura raison du second empire. Affairiste, il l'était certes mais pas uniquement de façon intéressée. Il est créatif. En unissant les intérêts publics et privés il s'attellera au développement des lignes du télégraphe électrique, à celui des chemins de fer. Il est à l'origine de la création des bibliothèques de gare, et inventa la station balnéaire de Deauville. Des exemples anecdotiques peut être mais qui démontrent l’ingéniosité du personnage toujours à l’affut des bonnes affaires mais qui sont aussi des idées nouvelles.

Morny a de l’esprit. Certaines de ses réparties sont célèbres. La veille du coup d'état du 2 décembre 1851 il est le soir comme si de rien n'était à l'Opéra-Comique. A l'entracte il répond à une dame qui lui demande de quel côté il sera dans le coup de balai qui se prépare : "Rassurez-vous, quoi qu'il advienne, Madame, je serai du côté du manche. ". Quelques instant plus tard dans la nuit, il quitte le Président et lui dit: "De toute façon, demain vous aurez une sentinelle à votre porte". Quand plus tard, en froid avec l'Empereur il démissionne du ministère de l'intérieur laissant la place à l'incontournable Persigny, les deux hommes ne s'aiment pas, il lui écrit:" Je vous la cède. Elle est faite pour vous". Il avait déjà dit à son propos: "Il a peut-être sur toutes choses le don de seconde vue; mais la première lui fait toujours défaut." Que cela est bien dit !

Morny le voluptueux aime tous les plaisirs et en particulier et surtout les plaisirs du lit. Certaines de ses maîtresses son célèbres telle la belle et riche Fany Le Hon avec laquelle il entretiendra une très longue relation mêlant l’amour aux affaires avec à son terme une rupture houleuse et coûteuse. Il collectionnera les maîtresses mais aussi les aventures sexuelles de tout ordre destinées à épancher cette soif de sensualité qui le poursuivra jusqu’à la fin. Plus il vieillit plus il aime les femmes jeunes. A quarante-cinq ans il épouse une ravissante jeune aristocrate Russe sans fortune, Sophie Troubetzkoï qui n’a que dix-huit ans. C’est là certainement un mariage d’amour. Il la ramènera de Saint-Pétersbourg à l’issue d’un voyage diplomatique auprès de la cour de Russie et l’installera à l’hôtel de Lassay. Incorrigible, il la trompera avec la meilleure amie de la jeune femme ce qui provoquera entre les jeunes époux une brouille qui mettra du temps à se dissiper. Puis il eut moins de maîtresses officielles mais continua ses relations épisodiques avec des actrices et quelques demi-mondaines qui sont ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui des « escort-girls » de luxe. Rouart insiste sur ce côté obsessionnel de sa vie sexuelle qui constitue une part importante de son être. Il introduit même ce caractère dans le titre de sa biographie « Morny, un voluptueux au pouvoir. » ce qui en dit long sur l’importance qu’il accorde à ce trait de caractère du personnage. Il explique cette sexualité déréglée, on l’a dit, par les origines adultérines de Morny. Peut- être aussi y a-t-il là un remède contre l’angoisse, celle de l’échec qu’il cherche à fuir. Pour « assurer » physiquement, Morny fait appel à son médecin le Docteur Olliffe qui lui fournit des remontants aphrodisiaques qui ont probablement contribué à la dégradation de sa santé et à son décès prématuré.

Le livre de Rouart semble plutôt constituer un plaidoyer à décharge. L’auteur est incontestablement fasciné par Morny comme il l’est par d’autres hommes d’état.(3) Il manifeste même une certaine compréhension bienveillante lorsqu’il évoque sa soif de pouvoir et de plaisir qu’il relie notamment à ses origines Ces analyses mettent en exergue la réelle complexité du personnage qui est bien plus qu’un dandy, jouisseur, assoiffé de pouvoir et de richesse que nous relatent les images d’épinal. Derrière la façade, aimée par certains, honnie par d’autres, il y a bien un homme avec ses sensibilités propres, prêt à tout pour éviter l’échec de sa vie si mal commencée. Les jugements sévères sur le personnage émis par des contemporains notamment par Victor Hugo ou Zola (4) n’ont pas été rendus avec ce recul dont Rouart a bénéficié plus d’un siècle et demi après. Le temps a fait son œuvre. Mais quel homme que le duc de Morny 

1 Morny est-il de Marsay, personnage de « La fille aux yeux d’or » le Roman d’Honoré de Balzac ? Rouart semble assez favorable à cette thèse. Plus certainement il est le duc de Mora dans « Le Nabab » d’Alphonse Daudet.

2 La mère de Flahaut, le père de Morny, était Adélaïde Filleul, puis de Flahaut puis de Souza. Sa vie amoureuse fut agitée comme le laissent supposer ces changements de nom successifs. L’un de ses amants fut Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, grand-père du Duc de Morny.

3 Voir « Les aventuriers du pouvoir » de Jean Marie Rouart chez Robert Laffont. Collection Bouquins.

4 « Viveur, tueur, ayant toute la frivolité conciliable avec l’assassinat, pouvant être esquissé par Marivaux, à la condition d’être ressaisi par Tacite, aucune conscience, une élégance irréprochable,  infâme et aimable, au besoin parfaitement duc : tel était ce malfaiteur. » (Victor Hugo)

« C’est un bandit tombé dans la peau d’un vaudevilliste. » (Emile Zola)

 

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